Je les mettais de côté, d’abord dans un tiroir, puis elles ont commencé à devenir trop nombreuses. Je les sors du tiroir et les mets dans un gros sac. Elles se sont accumulées, c’est devenu un tas et c’est là que je les ai vu. Elles ont pris une forme, par terre, j’étais aussi obligée de les regarder et à leur tour elles m’ont obligées à me demander pourquoi je les garde ? J’aurais aimé que ça soit par souci écologique, de recyclage. Mais en fait, ce n’était rien de tout cela, rien de planifié. Oui, car elles n’avaient aucune visée, ce sont des restes quoi. Je peins des restes. Je suis un peu en déséquilibre car elles m’amènent à m’abandonner volontairement. Sortir d’une certaine maîtrise, faire face à l’indéterminé. Il n’y a rien de prévu! Sont-elles la finalité des peintures sur châssis pour lesquelles elles ont été coupées? Ou la continuité de celles-ci, où se manifeste leur caractère d’être vierge d’aucune visée ? Quelques choses qui ne sont pas de grandes choses et qui ne donnent peut-être rien, mais, elles sont faites. Je les relève.
Mais elles ne sont absolument pas encombrantes. C’est bien ! Lieu décomplexé. Des formes saccadées qui libèrent, les fils qui jouent, qui sont libérées de leurs attaches, là ils sont en dehors, ils partent de tous les côtés, ils dépassent. Le contenu peint est seulement le chemin pour que ces veines délirent et vivent en dehors. Des veines dans tous les sens, tout s’ouvre. Le mouton est lui-même, le placenta pareil, il est ce qu’il est, la sans-visage pareil, les yeux pareils, ils sont ce qu’ils sont, the world is beautiful, we love it!!! est ce qu’il est aussi. Les deux informités à pattes sont elles-mêmes.
Anjesa Dellova(*1994) est une artiste suisse qui vit et travaille à Lausanne. Diplômée en 2017 de l’ECAL à Lausanne, elle y expérimente divers médiums dont la photographie, la vidéo et la peinture. Elle décide par la suite de se consacrer entièrement à la peinture à la HEAD en Workmaster ; elle y développe sa propre technique picturale qu’elle nomme “frottage”, tout en gardant la photographie comme support de recherche.
Elle remporte le prix Kiefer Hablitzel | Göhner 2022 et la bourse Alice Bailly en 2023. Elle a présenté son travail dans de nombreuses expositions et institutions : à la Galerie nationale du Kosovo (Prishtina, 2023), au Centre d’art contemporain d’Yverdon (Yverdon, 2023), à Mayday (Bâle, 2023), à Tunnel Tunnel (Lausanne, 2023), à Jungkunst 2022 (Winterthur,
2022), et à La Printanière (Lausanne, 2019). Pour l’exposition à Valentin61, elle décide de s’approprier l’espace pour le prendre comme un lieu expérimental et présente pour la première fois un ensemble de peintures sur des chutes de tissus qui est la continuation de sa recherche picturale.